1. Questions de définitions et de profondeur historique

Parler d’industrie pour l’époque moderne n’est pas chose aisée ; souvent la définition contemporaine l’emporte, fondée sur les images du machinisme et de la concentration comme bases des représentations. Elle s’oppose nettement à celle des hommes des périodes d’avant la Révolution qui y voyaient souvent le « simple travail des mains » ou l’expression du « savoir-faire » et de « l’habileté ».


Au XXe siècle, les historiens, lorsqu’ils parlent d’industrie pour l’époque moderne, la rattache aux activités de transformation que l’on finit par appeler le secteur secondaire. Mais tous ne la situent pas dans le cadre d’un processus, comme l’a fait Franklin Mendels, suivi par Peter Kriedte, Hans Medick et Jürgen Schlumbohm, en proposant le concept de « proto-industrialisation ». Beaucoup emploient des termes qui insinuent la confusion entre artisanat et industrie. La ruralisation de l’industrie à l’époque moderne ajoute à la complexité par l’extension des activités dans les campagnes et l’emploi d’une main-d’œuvre dont il est le plus souvent difficile de distinguer la part prise par l’industrie et l’agriculture dans la répartition des tâches, au sein d’un même foyer, ou pour un individu en particulier. Le nombre et la diversité des questions posées par l’emploi du mot industrie pour l’époque moderne imposent de prendre le temps de cerner la diversité de ses emplois et d’en proposer une définition possible.

☖ La proto-industrialisation définie par Franklin Mendels


« Pour qualifier une situation régionale de protoindustrielle au sens strict, nous proposons comme critère la présence simultanée de trois éléments : industries rurales, débouchés extérieurs, et symbiose industrie-agriculture. En quatrième lieu ces éléments doivent être observés dans le cadre spatial d’une région.

Définitions

  1. La protoindustrialisation implique l’apparition et l’expansion d’un type d’industrie dont la production finale est destinée à l’exportation dans un marché situé hors de la région […].
  2. La protoindustrialisation concerne la participation de ménages paysans dans la production. C’est un phénomène d’établissement et d’expansion de l’industrie rurale ou de la manufacture rurale dispersé […].
  3. La protoindustrialisation implique l’association de producteurs de surplus agricoles commercialisés et d’une paysannerie cultivant des exploitations dont les dimensions insuffisantes rendaient nécessaire la recherche de revenus de complément […].
  4. Par protoindustrialisation, nous entendons un phénomène régional qui doit donc s’observer à ce niveau […].

Hypothèses

Les régions qui s’industrialisèrent au XIXe siècle avaient en général d’abord connu une phase préliminaire de protoindustrialisation, car […] la protoindustrialisation eut l’effet de rompre le système de mariage tardif qui avait jusque-là ajusté l’accroissement naturel de la population à l’offre de fermes vacantes et aux subsistances locales. A la production agricole s’ajoutaient maintenant les revenus supplémentaires d’une production artisanale croissante. Il devint possible de morceler les fermes d'une génération à l’autre, à condition d’augmenter encore la production artisanale. L’approvisionnement était complété dans la région par des fermes écoulant des surplus alimentaires. Le nombre des habitants des zones de protoindustrialisation augmenta mais non leur bien-être. »

✐ Source : Franklin Mendels, « Des industries rurales à la protoindustrialisation : historique d’un changement de perspective », Industrialisation et désindustrialisation, in Annales ESC, numéro spécial, 39e année, n° 5, septembre-octobre 1984, p. 988-993.

N.B. : Dans la théorisation de la protoindustrialisation, voir aussi Peter Kriedte, Hans Medick et Jürgen Schlumbohm, Industrialization before Industrialization, Cambridge/Paris, Cambridge University Press/ Ed. de la MSH, [1977, en allemand], [1981, en anglais], 2008.