2.1 La poussée industrielle du
« beau XVIe siècle »

Au sortir de la grande crise systémique des XIVe et XVe siècles, l’Europe entre dans une phase de croissance, qui se poursuit jusqu’aux années 1560/1570, dans laquelle l’industrie prend une part grandissante.


En recherchant les prémices du processus de naissance de l’industrialisation contemporaine, des auteurs ont pu y déceler le temps de la première poussée industrielle ; ainsi, les tenants de la théorie de la proto-industrialisation ont appliqué ce concept à cette période et des médiévistes ont même fait remonter plus en amont cette amorce d’une « divergence » porteuse de changements majeurs dans le domaine de l’industrie, mais étalés dans le temps. Laissant de côté ses débats, remarquons que, dès la période médiévale, une série d’innovations interviennent dans le textile, la métallurgie, l’extraction minière, l’imprimerie, la papeterie, la verrerie, marquant l’amorce d’une nouvelle forme de l’organisation de la production et offrant les possibilités d’une fabrication plus intensive appliquée tant aux produits anciens que nouveaux.

Le textile, qui est l’industrie majeure au Moyen Age comme au début de l’époque moderne, connaît une croissance liée à l’extension de ses marchés plus que par une spécificité de progrès techniques. Ces derniers ne doivent pas pour autant être négligés du fait de l’importance prise par les moulins et du changement apporté par la révolution que représente, dans l’industrie de la laine, le passage à la technique de la laine cardée. Le succès des « nouvelles draperies », faites de sayes, bays, cadis et serges, y est aussi pour beaucoup ; tissées à base de laine peignée ou de fibres combinées (chaîne peignée et trame cardée), ces petites étoffes légères et bon marché rencontre un succès rapide. La prospérité du textile résulte tout autant de la vigueur retrouvée de l’économie que de la croissance de la population ou de l’évolution des pratiques de consommation. Dès la fin du Moyen Age et encore plus au début du XVIe siècle, la différenciation sociale se marque par la nature des produits que l’on acquiert. Dans ces prémices de la « culture des apparences », les tissus occupent une place centrale, leur hiérarchie matérialisant les différences de condition que les plus puissants souhaitent afficher et contrôler face aux milieux sociaux intermédiaires qui cherchent à les copier. Un grand marché intérieur se crée alors, d’abord au profit des étoffes de luxe et de grand luxe de soie et de laine. De leur côté, les tissus pour vêtements populaires font l’objet d’une large autoconsommation ou de commerce sur les marchés locaux et régionaux. Un grand négoce international se développe aussi, porté en particulier par l’appel des marchés européens et coloniaux des Espagne. Si la draperie lourde et de qualité y occupe une place importante sous domination anglaise, la prospérité de la production française se fonde de plus en plus sur les « nouvelles draperies » qui deviennent des articles de fabrication courante. L’industrie toilière connaît aussi un succès croissant, tant pour les articles tissés à base de lin que de chanvre. Le développement de la marine nécessite de fournir les voiles des caboteurs comme des navires hauturiers en plein développement. Dans la mutation des usages vestimentaires et du textile des ménages, le linge fait son apparition au tournant des XVe et XVIe siècles. C’est d’abord le linge de maison qui se développe avec les draps de lits, les serviettes, les pièces de table, sans oublier les linceuls. S’il est connu de tous, le linge de corps est plus rare et d’un usage encore modéré chez les couches sociales les moins favorisées. La diversité des usages techniques et sociaux donne naissance à une grande variété de produits, des plus grossiers aux plus fins.

La métallurgie connaît aussi des changements décisifs qui la propulsent au rang d’industrie, dès la fin du Moyen Age, la production connaissant une véritable explosion au cours de la période. Les progrès concernent d’abord la sidérurgie directe qui consiste, depuis plusieurs millénaires, à réduire le minerai de fer au sein d’un bas fourneau afin d’obtenir du fer et de l’acier dans une forge, sans passer par le stade de la fonte. Pour cela, de l’air est insufflé manuellement dans un bas fourneau à l’aide de soufflets ; l’utilisation de ces derniers permet d’atteindre une température adéquate et de contrôler la réduction. A partir du XIVe siècle, la force humaine est remplacée par le soufflage hydraulique : un arbre, mu par une roue en dessus, actionne des cames qui, appuyant sur le soufflet, permettent l’expulsion de l’air qu’il contient. La régulation de la tension du vent est déterminée suivant les besoins de l’allure du feu. Elle augmente graduellement, jusqu’à l’obtention de la loupe faite de fer plus ou moins imprégné de carbone – voire d’acier naturel –, ainsi que de scories et de charbon de bois. Frappée au marteau – lui-même actionné par l’intermédiaire d’un système hydraulique tel que décrit précédemment – la loupe est transformée progressivement en barres de fer ou d’acier constituant des produits semi-finis. Ces derniers passent ensuite sous les coups d’un martinet (petit marteau) permettant d’affiner encore le produit intermédiaire ou bien, par un travail plus abouti, de fabriquer des objets ouvrés comme les instruments aratoires. Pour répondre à l’essor de la métallurgie, la demande en minerais s’est faite croissante. Dès la fin du XIIIe siècle et jusqu’au milieu du XIVe siècle, les techniques sont perfectionnées et permettent l’exploitation des gisements profonds et non plus seulement des veines superficielles. L’extraction entre donc aussi dans une phase industrielle avec ses treuils de grande taille, ses charpentes perfectionnées dans le boisage des galeries et la mise au point de procédés efficaces de ventilation et de pompage des galeries et des puits par des vis sans fin. Si les nouvelles techniques, dans la métallurgie et les mines, apparaissent au Moyen Age, c’est bien à l’époque moderne qu’elles se développent vraiment. Ces perfectionnements favorisent la croissance de la production et l’augmentation des mines et du nombre de forges, dès le milieu du XVe siècle et surtout au XVIe siècle. Ces dernières gagnent aussi en taille et répondent d’avantage à la représentation que l’on peut avoir d’un établissement industriel moderne. Cependant, si la sidérurgie directe se développe durant la période, l’innovation souvent considérée comme la plus remarquable est représentée par la poussée de la sidérurgie indirecte ; cette dernière consiste à produire du fer et de l’acier en passant d’abord par le stade de la fonte obtenue au sein d’un haut fourneau. Le haut-fourneau a l’apparence d’une cheminée ventrue qui n’a encore qu’entre quatre à dix mètres de hauteur. Il est mis en fonctionnement en chargeant le minerai de fer et le combustible (charbon de bois ou charbon de terre) par le haut (gueulard). Le niveau élevé de température obtenue en son sein permet la fusion du minerai de fer qui se transforme en fonte ; cette dernière s’écoule par un trou dans le creuset positionné au bas du haut-fourneau. Le procédé est attesté en Europe dès la fin du XIIIe siècle. Mais ce n’est qu’au XVe siècle que l’on observe les premières implantations en France ; et c’est à partir du XVIe siècle qu’il s’impose progressivement. Si le haut fourneau symbolise la sidérurgie, donnant une place économique et symbolique très forte à la métallurgie du fer et de l’acier, la période est aussi celle du développement des métaux non-ferreux tels le cuivre, l’étain, le plomb, le bronze et les nouveaux alliages, comme le laiton.

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L’industrie d’armement joue un rôle majeur dans le développement de la métallurgie. Au début de l’époque moderne, il faut encore produire des armes qui rappellent celles du Moyen Age comme l’épée, la longue et lourde épée à deux mains, le couteau et la dague auxquels s’ajoutent les armes de choc : lance, pique, hache, masse et marteau d’arme. Dans la première moitié du XVIe siècle le métal peut encore protéger tout le corps : le bassinet en couvre-chef et une armure sur l’ensemble du corps. Les progrès des armes à feu changent sensiblement la donne à partir de la deuxième moitié du XVIe siècle. Le développement des armes à feu portatives – des arquebuses puis des mousquets – leur relative efficacité et, surtout, la puissance de feu croissante des canons provoquent un allègement des armures. Toutefois, si ces dernières évoluent, elles continuent d’être largement employées comme les armes de main ; les armes à feu doivent encore gagner en efficacité pour l’emporter définitivement sur les équipements anciens : les platines à mèche et les platines à rouet pèchent encore quant à leur mise en œuvre complexe, leur fonctionnement est délicat et les armes manquent généralement de précision. Mais elles sont toujours plus nombreuses et l’industrie doit s’adapter pour les fabriquer. Il y a aussi les canons qui remplacent les bombardes qui firent la supériorité française à Marignan et réduisirent presque à néant la chevalerie française à Pavie. Sous François Ier l’industrie française n’y suffit pas et il faut acheter des bouches à feu à Malines et dans le Milanais. Sous Henri II, la monarchie cherche à ce que le royaume soit capable de fournir ses besoins en canons, boulets et poudre grâce à des contrats passés par l’Arsenal de Paris avec les maîtres de forges et les salpêtriers (pour fabriquer la poudre). On produit alors des boulets en fer et des canons dans le même métal en assemblant des bandes en fer forgé maintenues par un cerclage posé à chaud. Mais la technologie de l’époque leur préfère les canons faits en bronze coulé. Car la métallurgie militaire est aussi le fait des non-ferreux ; outre les canons, les boulets peuvent aussi être coulés en plomb.