2.2.3 La construction d’un bassin industriel (1855-1880)
L’essor démographique et les transformations de la structure urbaine
Avec à peine plus de 19 000 habitants en 1821, Saint-Etienne dépasse les 90 000 habitants en 1856 et de nombreux bourgs voisins poussent comme des villes-champignons. Si la croissance démographique du bassin stéphanois est considérable, l’entassement concerne presque les deux tiers de la population et Saint-Etienne est considérée comme la « capitale française du taudis »[80]. Cette croissance est en grande partie assurée une immigration d’abord destinée au secteur minier. Avec 579 habitants en 1846 et plus de 4000 en 1876, le quartier du Soleil, où le charbon imprègne tout, a poussé dans le désordre, entre les puits de mine et le chemin de fer[81]. Mais, au milieu de cette croissance anarchique, Saint-Etienne affirme sa place en absorbant les communes voisines et en devenant la préfecture de la Loire en 1855.
Recompositions industrielles
En 1886, la mine et la métallurgie rassemblent chacune plus d’ouvriers que le textile[82]. Entre 1850 et 1870, la production de charbon est multipliée par deux et celle d’acier est multipliée par plus de 12. Malgré l’échec de la Compagnie des Mines de la Loire, les méthodes d’extraction et de fabrication du coke progressent en s’appuyant sur l’école des Mineurs qui s’affirme également comme le lieu de formation des dirigeants de l’industrie. Dans la métallurgie, l’utilisation du convertisseur Bessemer et du four Martin dans de grandes usines permet la production de grosses quantités d’aciers de qualité. Parallèlement, la Manufacture d’armes entre dans l’ère de la mécanisation. Fort de ces atouts, le bassin industriel stéphanois devient l’arsenal de la France pendant la guerre de 1870.
La structuration sociale du bassin industriel stéphanois
Ce développement se traduit par un enrichissement considérable de la couche supérieure de la société. Parmi les 29 patrons millionnaires que compte la région stéphanoise, on dénombre 14 fabricants de rubans, pour seulement 7 maîtres de forges[83]. Alors qu’apparemment tout oppose les passementiers conservateurs catholiques qui tiennent la ville et les métallurgistes républicains qui dominent sa périphérie, les représentants de la Fabrique font partie des actionnaires et participent aux conseils d’administration des Compagnies minières et métallurgiques.
Les travailleurs de l’industrie qui forment l’essentiel de la population ne constituent pas un monde homogène et les grèves et les mouvements de protestation sont bien souvent organisés par secteurs industriels. Mais les ouvriers partagent une sensibilité militante centrée sur le quartier. C’est dans les houillères et la métallurgie que se trouvent les grandes concentrations ouvrières et les mineurs jouent un grand rôle dans le développement du mouvement ouvrier stéphanois. Ils fournissent même à Zola un modèle pour Germinal avec la grève de juin 1869 et la fusillade du Brûlé où, le 16 juin, la troupe tire sur un groupe de manifestants en tuant 13 personnes dont une femme et un enfant.
Notes :
[80] Yves Lequin, « Les villes et l’industrie », in Y. Lequin [dir.], Histoire des Français, Paris, Armand Colin, 1983, p. 363.
[81] Jean-Paul Burdy, Le soleil noir, Presses universitaires de Lyon, 1989.
[82] Brigitte Carrier-Reynaud, « Les mondes industriels stéphanois au XIXe siècle », art. cit.
[83] Gérard-Michel Thermeau et Robert Estier, Les patrons du Second Empire. Loire, Saint-Etienne, Paris-Le Mans, Picard-Cénomane, 2010.