2.1.1 La Fabrique à la fin de l’Ancien Régime et à l’époque révolutionnaire


La fabrique à la fin du XVIIIe siècle

A la veille de la Révolution, l’économie lyonnaise repose sur la Fabrique. Sur une population de 150 000 habitants, l’industrie de la soie emploie plus de 30 000 personnes qui vivent et travaillent dans la vieille ville de Lyon. Marquée par « l'éternel retour des années de crise et des années d'euphorie »[53], elle s’impose par la qualité de ses façonnés - les plus chers et les plus lucratifs - et de ses unis. La ville exerce son influence sur un vaste territoire : elle s’approvisionne en Italie et dans le Sud-est de la France où de nombreux moulinages travaillent pour elle et elle vend ses productions à une clientèle de nobles, d’ecclésiastiques et de riches bourgeois dans toute l’Europe et jusqu’en Amérique latine.

L’organisation de la Fabrique

Sa flexibilité qui fait sa force repose sur une hiérarchie entre quatre, voire cinq groupes, aux limites poreuses. Au sommet, une soixantaine de négociants - ou « banquiers » - achètent les soies. Très onéreuses, elles représentent les deux tiers du prix du produit fini. Ces négociants approvisionnent une centaine de marchands-fabricants qui distribuent le fil de soie et commercialisent le produit fini. En lien avec les dessinateurs, les marchands-fabricants sont responsables de la conception du produit, ce qui peut les inciter à accompagner d’éventuelles reconversions. Les chefs d’atelier - un demi-millier à la veille de la Révolution –, qui dépendent d’eux, possèdent un ou plusieurs métiers qu’ils sont capables de perfectionner et emploient environ trois mille compagnons sujets au turn over. Il faut leur ajouter les épouses, les fils des chefs d’atelier, quelques apprentis et manœuvres - main d’œuvre particulièrement fragile et instable. Toute une série d’activités (dévidage, ourdissage, moulinage, teinture et apprêt) gravitent autour du tissage. Moins connues, elles distribuent du travail dans la ville et hors de la ville et sont l’objet d’améliorations techniques incessantes.

C’est le prix des « façons » fixé par le marchand-fabricant qui détermine les revenus de ce peuple laborieux. Dès 1786, les chefs d’atelier soutenus par les compagnons réclament, en vain, l’établissement d’un « tarif ». Malgré ces tensions, la cohésion de la Fabrique est assurée par les avances que les marchands de soie font aux fabricants et celles que ces derniers font aux chefs d’atelier[54].

La Révolution, l’Empire et la Fabrique

La Révolution ouvre une période très difficile pour l’industrie lyonnaise. L’émigration et le siège de la ville mettent à mal la Fabrique mais le rétablissement de l’ordre sous le Consulat et l’Empire permet son redressement. Des importations et des exportations plus faciles sur le continent soumis au Blocus continental compensent partiellement les pertes d’exportation outre-mer. Alors que le libéralisme officiel a ouvert un grand vide institutionnel particulièrement néfaste ici, la création du Conseil de Prud’homme en 1806 permet de régler les nombreux différents entre fabricants et chefs d’atelier. Enfin, la machine de Jacquard mise au point à la fin de l’Empire permet de produire plus, plus vite et plus facilement dans une ville qui, à ce moment-là, manque de main d’oeuvre.


Notes :

[53] Alain Faure, « Petit atelier et modernisme économique », Histoire, Economie et Société, n°4, 1986, p. 531-557.

[54] Pierre Cayez, Métiers jacquard et hauts fourneaux. Aux origines de l’industrie lyonnaise, Lyon, Presses universitaires de Lyon, 1978.