2.4.1 Les échecs d’une entreprise exceptionnelle : le Creusot avant les Schneider


Technologies de pointe et déficit

C’est une visite de Gabriel Jars en 1868, le « surdoué de la mine et de la métallurgie »[103], qui attire l’attention sur l’intérêt de la houille de la Charbonnière sur le futur site du Creusot. Après la visite d’autres spécialistes, dont l’Anglais Wilkinson, le ministre de la Marine décide, en 1781, d’y implanter une usine pour alimenter en fonte la fonderie d’Indret près de Nantes. Fondée en 1782, la société Périer, Bettinger et Cie, associe des porteurs de capitaux et des « hommes de l’art ». La première coulée de fonte au coke est réussie en 1785. Remarquable succès technique, l’usine qui fabrique des canons et des conduites d’eau bénéficie de très gros équipements : quatre grands hauts-fourneaux, quatre fours à réverbères et cinq machines à vapeur. Comme la main d’œuvre locale est peu abondante, l’usine loge sur place l’essentiel des 1500 ouvriers qu’elle emploie. Sous l’Empire, la fonderie contribue à quelques belles réalisations comme la charpente de la halle au blé de Paris et la fontaine de Bondy. Mais, comme le charbon et le minerai de fer indigènes conviennent mal à la production d’acier au coke, il faut faire venir des fontes comtoises ou bourguignonnes qui grèvent les prix de revient[104]. L’usine métallurgique du Creusot est un gouffre financier qui nécessite l’intervention de l’Etat et elle fait faillite en 1814. En 1818, le principal créancier de l’établissement qui est également propriétaire des mines de Blanzy et de Montceau-les-Mines, Jean-François Chagot, acquiert le site mais il échoue faute de capitaux suffisants.

Une réorganisation à l’anglaise

En 1826, deux industriels anglais, Manby et Wilson, fondateurs d’une usine métallurgique à Charenton et constructeurs de machines à vapeur et de bateaux en fer, reprennent l’usine et concentrent leurs activités au Creusot. Les hauts-fourneaux sont remis à neuf, les ateliers de la fonderie sont agrandis, une grande forge à laminoirs est construite et les houillères sont étendues à Montchanin situé à une dizaine de kilomètres. Les deux Anglais fournissent les rails du premier chemin de fer français (Saint-Etienne-Andrézieu). La rénovation et l’extension du site vont de pair avec une politique du logement. Manby et Wilson construisent la première cité ouvrière, compromis entre les « casernes » - immeubles contigus à l’espace de production installés précédemment – et l’habitat individuel – à caractère familial – qui, pour fixer la main d’œuvre, reproduit un modèle gallois[105]. Mais, victimes de la crise de 1830, Manby et Wilson font faillite trois ans plus tard et le site est repris par les frères Schneider en 1836 qui profiteront des infrastructures que leurs prédécesseurs ont mises en place.


Notes :

[103] Anne-Françoise Garcon. Le voyageur innovant. 2000..

[104] Louis Bergeron, Le Creusot. Une ville industrielle. Un patrimoine glorieux, Paris, Belin Herscher, 2001.

[105] Christian Devillers et Bernard Huet, op. cit.