2.2.2 Le triomphe de la fabrique rubanière et la montée du charbon et de l’acier (1815-1855)


L’hégémonie rubanière

Avec le retour de la paix, la passementerie connaît une forte croissance notamment grâce à ses ventes aux Etats-Unis. Les fabricants dominent le centre de Saint-Etienne autour de l’Hôtel de ville où sont installés leurs comptoirs et leurs immeubles de rapport. Les métiers Jacquard s’imposent en ville. Leur système de cartes perforées permet de travailler plus vite, pour moins cher, tout en conservant la qualité et la variété de la production. Cette « industrie sans industriels » est d’une certaine façon une « industrie de pointe ». Comme ses travailleurs - semi-indépendants, « un peu artistes » et « un peu mécaniciens » - y sont attachés, le système peut intégrer les transformations techniques et perdurer[75]. Pourtant ce monde connaît des crises brutales et des affrontements parfois graves : en avril 1848, les deux couvents dont les métiers exercent une concurrence considérée comme déloyale sont pillés.[76].

La difficile modernisation de la quincaillerie, de l’armurerie et des houillières

A l’exception de la taillanderie qui se développe en répondant à l’immense variété de la demande rurale, la quincaillerie n’évolue guère. En raison de son caractère stratégique, l’armurerie connaît toute une série de tentatives de modernisation qui peuvent donner lieu à des formes de luddisme -bris de machines par les ouvriers - comme la destruction d’un appareil à fabriquer les canons de fusils à Valbenoîte, le 2 mars 1831. La production de houille connaît une progression remarquable. La création en 1816 d’une école des Mineurs pour former de « bons conducteurs » de travaux souterrains, très vite soutenue par les élites ligériennes qui peuvent y envoyer leurs fils, traduit la prise de conscience des notables locaux des besoins de transformation du secteur1. De 300 000 tonnes à la veille de la Révolution, la production passe à 1,2 million de tonnes en 1837. Le bassin stéphanois est le premier bassin charbonnier français jusqu’au second Empire. Mais les modes d’exploitation sont peu efficaces. En 1845, la fusion des concessions les plus importantes dans la Compagnie des Mines de la Loire - surnommée « le Monopole » - et la rationalisation qui l’accompagne déclenchent le mécontentement des ouvriers et celui de nombreux propriétaires fonciers parmi lesquels on rencontre des fabricants-passementiers. La grève ouvrière de 1854 empêche la Compagnie de s’allier avec les Houillères du Gard, et le « Monopole », mal vu par les notables, est dissout par le pouvoir impérial et scindé en quatre compagnies rivales.

L’insertion de la métallurgie de l’acier dans le tissu industriel stéphanois

Le développement de la métallurgie moderne bénéficie de la protection de l’Etat, de l’importation des techniques étrangères - notamment anglaises -, et de la présence de l’école des Mineurs dont les compétences sont rapidement étendues à la métallurgie. De l’acier au creuset produit en 1815, au convertisseur Bessemer (1861) et aux fours Martin (1867), « le département de la Loire a été à la fois le laboratoire et le promoteur de toutes les innovations »[77]. En 1848, le bassin stéphanois fournit le tiers de l’acier français[78]. La nouvelle production s’inscrit dans le tissu productif local. Non seulement le métal est souvent produit pour l’industrie ligérienne, mais de nombreux fabricants-passementiers, soucieux de ne pas rester à l’écart du succès de la nouvelle métallurgie, y osent des investissements. Arrivé en France 1814 grâce à l’appui de Carnot et de Chaptal, le métallurgiste anglais James Jackson installe une aciérie à Trablaine pour alimenter la quincaillerie. Quelques années plus tard, Louis-Antoine Beaunier, directeur de l’école des Mineurs de Saint-Etienne, s’associe avec le financier Milleret, qui possède déjà les aciéries d’Allivet et de Bonpertuis en Isère, pour construire une usine à La Bérardière, située non loin de Saint-Etienne, et livrer des aciers affinés à l’armurerie[79]. Le premier haut fourneau qui produit de l’acier au coke entre en activité en 1822 sous l’autorité de de Gallois, professeur à l’école des Mineurs, qui noue pour l’occasion, des liens avec le milieu patronal rubanier.


Notes :

[75] Brigitte Carrier-Reynaud, « Les mondes industriels stéphanois au XIXe siècle », Les Cahiers du Comité d'Histoire, Saint-Étienne, 2011, p. 18-28.

[76] Anne-Françoise Garçon, Entre l'État et l'usine : L'École des Mines de Saint-Étienne au XIXe siècle, Presses universitaires de Rennes, 2004.

[77] Denis Woronoff, Histoire de l’industrie en France, Paris, Le Seuil, 1994, p. 330-31.

[78] Jean-Paul Burdy et Michelle Zancarini-Fournel, op. cit.

[79] Anne-Françoise Garçon, Entre l'État et l'usine…, op. cit.