2.5 Conclusion de la seconde partie


Comme la démarche globale, l’étude des territoires industriels français montre l’importance décisive de la période 1780-1880. Mais elle présente l’avantage de mettre en relief la diversité des trajectoires empruntées par les diverses formations spatiales locales. Si ces continuités passent par des reconversions, elles passent aussi par des tuilages d’activités qui amortissent les changements et permettent aux financeurs de reconvertir leurs capitaux et de recomposer leurs réseaux sociaux. Le cas du bassin industriel stéphanois qui s’est constitué par la coexistence, sur un gisement de charbon, de la fabrique, de la grande industrie, du textile et de la métallurgie en donne une bonne illustration. Mais l’on ne peut réduire les formations territoriales aux bassins industriels. Structurée comme un territoire-réseau capable d’irriguer un vaste ensemble régional, la Fabrique, qui n’est pas la seule industrie lyonnaise, montre qu’un système de production protoindustriel peut atteindre son apogée au moment même où la première révolution industrielle s’épuise. Le cas marseillais met au jour d’autres logiques, celle d’un port et d’un négoce capable de saisir les opportunités fournies par l’industrie. Sous prétexte de conformité au modèle de la « révolution industrielle » « à l’anglaise », la réussite du Creusot ne doit masquer ni la diversité des trajectoires empruntées par l’industrie française, ni les particularités de son propre territoire. Conçue en fonction d’impératifs politiques, économiques et idéologiques, la grande usine déroule une histoire qui correspond très mal à l’idéal libéral. Dès les années 1860, le territoire industriel qui s’est constitué autour d’elle montre, avec les mouvements sociaux du troisième tiers du XIXe siècle, qu’il existe bel et bien et qu’il a une force d’inertie[119]. Voilà qui peut faire écho à certaines recherches, en Angleterre même, qui soulignent, au cœur même de la « révolution industrielle », l’importance des territoires et de la protoindustrialisation[120].


Notes :

[119] Christian Devillers et Bernard Huet, op. cit.

[120] Stephen A. Caunce, « Le Nord de l'Angleterre : une constellation de districts industriels 1650-1830 », in Michel Lescure [dir.], La mobilisation du territoire, op. cit., p.29-56.