1. Le temps de la reconstruction et de la modernisation de l’industrie française, 1944 – 1974 : l’apogée de l’industrie française ?
Cette période est exceptionnelle dans l’histoire économique et sociale de la France, en particulier pour son histoire industrielle. Elle repose sur des innovations dans de nombreux domaines économiques, politiques et sociaux. Elle se traduit par une croissance économique forte et une longue période, environ 20 ans, de plein emploi [192].
Le premier effort national est de reconstruire ce qui a été détruit par les bombardements ou les combats. La production industrielle de 1944 représente un peu plus d’un tiers (38%) de celle d’avant-guerre[193]. Ces destructions ont touché les régions françaises de façon inégale : l’Ouest, l’Est et le Nord ne comptent plus de dégâts.
Certaines industries, comme les raffineries de pétrole, sont anéanties. De plus, l’absence de nouveaux investissements pendant la Seconde guerre a provoqué une profonde usure des installations. L’enjeu est alors de reconstruire en modernisant et non pas de reconstruire ce qui existait auparavant. Le redressement s’opère en une dizaine d’années et la croissance se maintient à un niveau inédit jusqu’en 1975.
Cette croissance repose largement sur l’activité industrielle du pays qui occupe 33% de la population active en 1949 et plus de 38% de celle-ci en 1969. L’industrie augmente en volume de richesses créées, en emplois productifs et connaît un progrès de sa productivité (production par homme/heure) de plus de 5% par an de 1949 à 1969[194]. La production industrielle porte la croissance.
La leçon aborde successivement les trois aspects majeurs de ces transformations : le rôle de l’Etat (les politiques économiques), l’influence favorable des nouveaux environnements (l’ère de la consommation de masse, l’aide américaine, les débuts de la construction européenne) et enfin, les dynamiques de la société française et des entreprises industrielles.
☖ Les ressorts de la croissance industrielle de la France
La période de la modernisation réunit celle de la reconstruction après la Seconde Guerre et ce que Jean Fourastié a baptisé les « Trente Glorieuses »[195]. Avec un certain déterminisme, il suggère une série d’enchaînements qui vont du progrès technique au bonheur humain. Mais il reconnaît aussi qu’il peut y avoir des « interférences » entre les étapes (sic)[196].
La formule est commode, mais comporte des défauts. Sa chronologie est discutable car jusqu’au début des années cinquante les contemporains n’avaient pas clairement conscience que la croissance était là, l’idée de la modernisation de l’économie et de la société française s’est instillée progressivement. La formule connote une « exception française » alors que sous d’autres noms comme « le miracle allemand », la République fédérale ou l’Italie ont connu des modernisations aussi radicales.
La caractérisation des Trente Glorieuses a évolué. Elle était présentée positivement comme le résultat de l’ouverture des frontières. « L’accélération de la croissance française dans les années 1960 peut sans doute être largement interprétée comme une conséquence directe de l’ouverture des frontières : les années 1960 sont l’antithèse des années 1930 »[197]. Puis cette période de croissance longue et forte a été considérée comme une anomalie de l’histoire avec J. Marseille[198] et enfin, essentiellement un phénomène de rattrapage des retards de l’entre-deux-guerres avec E. Cohen[199] ou Th. Picketty[200].
Notes :
[192] François Bloch-Lainé et Jean Bouvier, La France restaurée, 1944-1954. Dialogue sur les choix d'une modernisation, Paris, Fayard, 1986.
[193] Jean-François Eck, Histoire de l'économie française de la crise de 1929 à l’Euro, Paris, A. Colin, U, 2009, p. 29.
[194] J. Carré, P. Dubois et E. Malinvaud, Abrégé de la croissance française, Paris, Seuil, collection points, 1984.
[195] Jean Fourastié, Les Trente Glorieuses, ou la révolution invisible de 1946 à 1975, Paris, Fayard, 1979.
[196] Régis Boulat, Jean Fourastié, un expert en productivité et en modernisation, Besançon, Presses Universitaires de Franche Comté, 2008.
[197] F. Caron et J. Bouvier in Braudel (Fernand) et Labrousse (Ernest) (sous la direction de) Histoire économique et sociale de la France, Paris, PUF, tome 4,1982, p. 1012.
[198] Jacques Marseille, Nouvelle histoire de la France, Paris, Perrin, 1999.
[199] Elie Cohen, Le nouvel âge d’or du capitalisme, bulles, krachs et rebonds, Paris, Fayard, 2005.
[200] Thomas Piketty, Le capital au XXIe siècle, Paris, Seuil, 2013.
Thomas Piketty, Capital et idéologie, Paris, Seuil, 2019.