2.5.1 La situation difficile de l’industrie automobile[275]

Le dynamisme exceptionnel du marché automobile dans les années 60 a permis la construction de deux grands ensembles industriels : Renault (40,4 % des ventes en 1973 et 45,4 % en 1979) et l’ensemble formé autour de Peugeot par Citroën, repris en 1974, et Chrysler-Europe, racheté en 1978 et devenu Talbot.


Au cours des années 70, la production (de 2,2 millions de voitures en 1970 à 3,2 en 1979), les exportations et la part du secteur dans la valeur ajoutée nationale (de 8,7 % à 12,7 %) progressant vigoureusement, alors que près de 50 000 emplois sont créés. Le Commissariat au Plan estimait en 1981 que, après avoir connu un développement brillant, l’activité automobile risquait de connaitre des difficultés et devrait s’adapter rapidement aux évolutions du marché mondial et de la technologie[276].

En 1981, quoique devenu le premier constructeur européen, Renault est dans le rouge, et PSA, qui n’a pas vu venir la crise (division des ventes par deux, accumulation de pertes, doublement de l’endettement), a bien failli disparaître. Sauvé par J. Calvet qui redimensionne le groupe en fermant des sites et en réduisant les effectifs ainsi que par le succès exceptionnel de la 205, PSA prend un nouvel élan sous J-M Folz qui donne une dimension mondiale à l’entreprise. Du reste, les années 90 ont été pour les deux constructeurs français un temps de récupération et de croissance de la production et de la rentabilité.

Cependant, dans les années 2000, la situation de l’industrie automobile française se détériore à nouveau : la production diminue et la balance commerciale du secteur se dégrade. C’est la conséquence de la dissociation croissante entre des constructeurs qui privilégient désormais les implantations à l’étranger et le territoire national où leur activité se réduit. Cette stratégie « plonge ses racines dans une certaine défiance du patronat automobile vis-à-vis des salariés de ses grands sites de production qui est apparue dans les années 1980 et a structuré assez largement les choix de production », qu’il s’agisse d’organisation du travail ou de géographie des usines[277]. Alors que la production des sites français diminue (de 2,5 millions de voitures en 2000 à 1,6 en 2012, soit – 36 %), celle des usines implantées à l’étranger s’accroît (de 3,9 millions à 5,5, soit + 41 %), plus fortement d’ailleurs chez Renault qui s’est beaucoup internationalisé (Roumanie, Turquie, Espagne, Maroc). La productivité des usines françaises régresse faute d’investissements suffisants ; de plus, elles cumulent deux handicaps : un coût moyen par salarié plus élevé et un temps de travail inférieur. Par ailleurs, les deux constructeurs ont fait le choix d’une fabrication complète de leurs voitures dans les pays à bas salaires pour les réimporter ensuite et les vendre en France, creusant ainsi depuis 2004 le déficit commercial du secteur et du pays. Conséquences : des sites sont fermés et les effectifs continuent de diminuer. La fermeture d’Aulnay en 2013 a valeur de symbole. Face à l’industrie automobile allemande, la France ne cesse de reculer mais il est vrai les constructeurs allemands ont suivi une stratégie opposée : ils ont investi pour moderniser les usines et réduire les coûts, ils ont délocalisé la fabrication des pièces détachées dans les pays de l’Est mais maintenu l’assemblage sur le sol national, ils ont investi en R&D pour monter en gamme et vendre plus cher, et ils exportent avec succès des grosses cylindrées quand la France s’oriente vers les petites voitures[278].

Le rebond des constructeurs français n’est pas impossible mais leur situation est difficile : sa fragilité financière et ses difficultés commerciales ont contraint PSA à accepter l’entrée en 2013 du chinois Dong Feng et de l’Etat français dans son capital, et Renault devenu champion du low cost et qui ne fabrique plus que 20 % de ses voitures en France, s’intègre toujours plus étroitement à une Alliance dont les membres divergent sur la conception du management comme sur leurs relations futures.


Notes :

[275] Elie Cohen, Pierre-André Buigues, op. cit., p. 245-270 ; Jean-Louis Loubet, La Maison Peugeot, Paris, Perrin, 2009, p. 402-471 ; Bernard Jullien, Yannick Lung, Industrie automobile. La croisée des chemins, Paris, La documentation française, 2011 ; Jean-Pierre Pagé (dir.), Profil économique de la France au seuil des années 1980, Paris, La documentation française, Paris, 1981, p. 210-213.

[276] Jean-Pierre Pagé, op. cit., p.213.

[277] Bernard Jullien, Yannick Lung, op. cit., p. 68-69.

[278] Alain Chatillon, « La construction automobile : une comparaison France-Allemagne », Problèmes économiques, n° 3040, 2012, p. 15-24 ; Dalia Marin, « A new international division of labour in Europe. Outsourcing and offshoring to Eastern Europe », Discussion paper 2005-17, septembre 2005, Département d’économie, Université de Munich, en ligne : http://epub.ub.Uni-muenchen.de