2.2 Les faiblesses structurelles de l’industrie française en chiffres

Tentons de prendre la mesure des faiblesses de l’industrie française et de la situer par rapport aux autres industries européennes[258].


Le début des années 2000 marquant une brutale accélération du décrochage de la France par rapport à ses voisins, on a limité l’analyse aux 15 dernières années.

Le coût du travail dans les entreprises françaises est élevé : en 2014, ex aequo avec l’Allemagne, la France est au 5e rang après la Suède, la Belgique, le Danemark et les Pays-Bas.
Cette situation s’explique à la fois par le poids des charges sociales patronales (32,4 % contre 21,8 % en Allemagne), une hausse plus rapide des salaires en France que dans la zone euro (38,3 % contre 26,3 % entre 2000 et 2008) et un salaire minimum plus élevé qu’ailleurs et qui progresse plus vite que le reste des salaires.

L’investissement est à peine inférieur à la moyenne de la zone euro et même plus élevé qu’en Allemagne, mais si on affine l’analyse, on constate que la France sur-investit dans la construction et sous-investit dans les équipements, quand l’Allemagne fait l’inverse.
Avec un taux d’investissement en machines et équipements de 6,1 % du PIB, un des plus faibles de l’OCDE, la France avait en 2010, d’après les Etats généraux de l’industrie, un retard d’investissement cumulé de 100 milliards d’euros !

La moindre diffusion des technologies nouvelles n’a pas d’autre explication, d’autant que, lorsqu’elles investissent, les entreprises le font davantage pour renouveler ou étendre leur outil de production que pour innover. Le nombre de robots installés illustre bien cette situation : en 2011, l’Allemagne en avait plus de quatre fois plus (157 241 contre 34 461) et l’Italie presque deux fois plus (62 245). Rien d’étonnant dès lors à ce que la productivité du travail dans l’industrie soit sensiblement plus faible que dans les autres pays européens, la France étant classée 10e.

La faiblesse de l’investissement et de la productivité explique, au moins en partie, que les entreprises françaises aient la marge brute d’exploitation la plus faible de toute l’Europe (5,5 %), loin derrière le Royaume-Uni (14,3 %), l’Autriche (11 %), le Danemark (10,7 %) et l’Allemagne (7,6 %). Les marges bénéficiaires des entreprises baissent depuis la création de l’euro, les entreprises ne pouvant augmenter leur prix pour tenir compte de la hausse des salaires, de l’euro et des matières premières car elles ont un positionnement trop bas en gamme.

Pour l’intensité en R&D, la France occupe un rang intermédiaire en Europe (6e), mais l’important est que la part de la R&D dans le PIB est restée stable entre 2000 et 2010 (2,2 %), quand les pays de tête ont amélioré leur performance pour se rapprocher ou dépasser l’objectif de 3 % fixé par l’UE (3,9 % en Finlande, 3,2 % en Suède, 2,8 % en Allemagne). Malgré un soutien de l’Etat particulièrement généreux à travers le Crédit impôt recherche (CIR), les investissements des entreprises en R&D stagnent, si bien que leur part (61,9 %) dans le total des dépenses de R&D place la France en 7e position (Finlande : 71 %, Suède : 68,4 %, Allemagne : 67,3 %). Qui plus est, les grands groupes français sont distancés : parmi les 405 groupes européens figurant dans le classement des 1500 groupes mondiaux investissant le plus en R&D, on ne compte que 58 français contre 100 allemands et 81 britanniques.

Enfin, la spécialisation de la France n’est pas la bonne : si on la compare à celle de l’Allemagne, elle est plutôt positionnée sur le milieu de gamme (1,08 contre 1,02) et le bas de gamme (1,02 contre 0,85) et est trop peu présente sur le haut de gamme (0,94 contre 1,07). Le manque de différenciation des produits français les rend très sensibles à l’augmentation des prix et vulnérables à la concurrence. Les enquêtes prix-qualité menées par l’institut COEREXECODE montrent, et c’est une constante depuis le début des années 2000, que les produits français sont de qualité moyenne mais parmi les plus chers du marché ! C’est dire que la situation est intenable car il s’agit de produits pour lesquels la compétition porte sur la réduction des coûts[259].


Notes :

[258] Elie Cohen, Pierre-André Buigues, Le décrochage industriel, op. cit., p. 72-97 et 56-61 ; Patrick Artus, « Malheureusement, la désindustrialisation de la France risque de s’amplifier », Flash Economie-Natixis, n° 870, 24 novembre 2011 ; Christian Saint-Etienne, Robin Rivaton, Le Kapital pour rebâtir l’industrie, op. cit. ; Robin Rivaton, Relancer notre industrie par les robots (1) : les enjeux, Fondapol, décembre 2012, p. 16-18.

[259] Robert Boyer, Economie politique des capitalismes. Théorie de la régulation et des crises, Paris, La Découverte, 2015, p. 250.