1.1.2 Les nationalisations
Après la nationalisation des industries d’Armement en 1936[207] et celle des chemins de fer (SNCF) en 1937[208], l’énonciation d’un programme de nationalisation par le Comité National de la résistance est décisive.
Il prône : « le retour à la nation des grands moyens de production monopolisée, fruits du travail commun, des sources d’énergie, des richesses du sous-sol, des compagnies d’assurances et des grandes banques »[209].
Les nationalisations qui suivent la Libération relèvent de deux objectifs principaux[210]. Le premier est la sanction pour les propriétaires des charbonnages[211], pour Renault[212] et pour Gnome et Rhône (future SNECMA) du fait de leurs comportements considérés comme favorables à l’occupant.
Le second objectif repose sur l’idée de la frilosité des comportements industriels et bancaires pendant l’entre-deux-guerres qui n’ont pas favorisé l’investissement productif.
L’Etat entend prendre les choses en main afin de conduire une modernisation volontariste[213]. C’est ainsi que les premiers gouvernements de la Quatrième République nationalisent les transports aériens (Air France, Air Bleu), le gaz[214] et l’électricité[215] (EDF GDF) et intervient dans le secteur bancaire afin de disposer du levier du crédit : Banque de France et les quatre grandes banques de dépôt (Crédit Lyonnais, Société Générale, Banque Nationale du Commerce et de l’Industrie, Comptoir National d’Escompte –les deux dernières forment la BNP en 1966). Ce dispositif des nationalisations est complété par une transformation d’autres organismes de crédit (Caisse des dépôts et consignations[216], Crédit Foncier, Crédit national[217], Crédit agricole et Crédit populaire).
Reste le cas des nationalisations avortées dont l’exemple le plus inattendu est la sidérurgie. Alors que tout semblait s’y prêter, notamment du fait de l’injuste opprobre qui pesait sur certains groupes comme celui de Wendel[218], alors que des propositions de loi ont été élaborées; elle ne s’est pas réalisée. Bien des explications ont été formulées pour cette surprenante non-décision. On a cité tour à tour l’indécision de la CGT confrontée à la scission de Force Ouvrière; la pugnacité de l’organisation patronale renaissante, la Chambre Syndicale de la Sidérurgie Française, l’opposition du MRP (Mouvement Républicain Populaire, le parti centriste membre de la coalition gouvernementale). Quoi qu’il en soit, la sidérurgie n’a pas été nationalisée et les modernisateurs ont du ranger dans leurs tiroirs leurs projets de restructuration de ce secteur industriel.
En peu de temps, les pouvoirs publics disposent avec les nationalisations d’une boîte à outils que la planification orchestre en faveur d’une sélection volontariste de choix industriels.
Notes :
[207] Robert Franck, La hantise du déclin. La France, 1920 - 1960: finances, défense et identité nationale, Paris, Belin, 1994.
[208] François Caron, Histoire des chemins de fer en France, t. 2.1883 – 1937, Paris, Fayard, 2005.
[209] Claire Andrieu, Le programme commun de la Résistance, Editions de l'Erudit, 1984.
[210] Andrieu, L. Le Van, et A. Prost (dir.), 1987. Les nationalisations de la Libération. De l'utopie au compromis, Paris, Presses de la FNSP.
[211] Jean Bouvier, "Région et nation: inflation, réformes de structure, nationalisation des houillères et crise sociale", Colloque "Libération dans le Nord Pas de Calais 1944-1947", Revue du Nord, n°227, oct-nov 1975, pp603-610.
[212] Patrick Fridenson, Une Régie à la conquête de l’autonomie », in Andrieu, C., Le Van, L. et Prost A. (dir.), 1987. Les nationalisations de la Libération. De l'utopie au compromis, Paris, Presses de la FNSP.
[213] Patrick Fridenson, André Strauss (sous la direction de), Le capitalisme français 19e-20e siècle. Blocages et dynamismes d'une croissance, Paris, Fayard, 1987.
[214] Alain Beltran, Williot (J.P.), Le noir et le bleu, quarante ans d'histoire du gaz de France, Belfond, 1992.
[215] Association pour l’Histoire de l’Electricité en France, La nationalisation de l’électricité en France, nécessité technique ou logique politique ?, Paris, AHEF, PUF, 1996. Picard (J. F.), Beltran (A.), Bungener (M.), Histoires de l'EDF. Comment sont prises les décisions de 1946 à nos jours, Paris, Dunod, 1985.
[216] Alya Aglan (dir.), Michel Margairaz (dir.) et Philippe Verheyde (dir.) (actes du colloque organisé à Paris du 28 au 30 novembre 2001 par le Comité historique de la Caisse des dépôts et consignations), La Caisse des dépôts et consignations, la Seconde Guerre mondiale et le XXe siècle, Albin Michel, coll. « Histoire de la Mission historique de la Banque de France », 2003, 669 p.
[217] Patrice Baubeau, Arnaud Lavit d’Hautefort, Michel Lescure, Le Crédit National. Histoire publique d’une société privée, Paris, Jean Claude Lattes, 1994.
[218] Philippe Mioche (dir). « La sidérurgie française et la maison de Wendel pendant les Trente Glorieuses 1945 -1975 », Aix-en-Provence, Presses Universitaires de Provence, 2015.