2.5.2 L’aéronautique: un secteur performant et exportateur[279]
En 2013, l’industrie aéronautique et spatiale française emploie 177 000 salariés (pour les seules entreprises adhérentes au GIFAS), mais à 310 000 personnes dans l’ensemble de la filière.
Elle a réalisé pour 47,9 milliards d’euros de chiffre d’affaires, dont 79 % à l’exportation. Ses performances à l’exportation s’améliorent: de 8 milliards d’euros en 2003, l’excédent commercial est monté à 22 en 2013. Avec 22 % du marché mondial, la France est le deuxième exportateur mondial, derrière les Etats-Unis (35 %) mais devant l’Allemagne (14 %). La situation du secteur est incontestablement brillante mais des menaces se dessinent pour les années qui viennent : la concurrence des pays émergents, le renforcement du poids de l’Allemagne, des difficultés de recrutement de la main-d’oeuvre, et des risques au niveau de la chaîne de sous-traitance.
L’industrie aéronautique et une industrie d’assemblage intensive en R&D où le développement d’un produit demande de très importants investissements de long terme et où l’Etat joue un rôle important en raison de son caractère stratégique. L’aviation civile représente 75 % du chiffre d’affaires du secteur en 2013. Elle englobe plusieurs grands constructeurs : Airbus (avions de ligne de plus de 100 places) qui représente 50 % des exportations du secteur, Eurocopter (1er producteur mondial d’hélicoptères civils), Dassault (avions d’affaires) et ATR (avions de transport régional à turbopropulseurs), ainsi que de grands équipementiers (Safran, Thales, Zodiac) et une multitude de PME spécialisées. Trois des quatre constructeurs sont intégrés à des groupes européens.
Le marché des gros porteurs est dominé par Boeing et Airbus. La concurrence des pays émergents (Brésil, Russie) se fait sentir sur les moyens porteurs, et surtout, avec le Comac 919, la Chine menace l’A320. Grâce à des accords de compensation (en échange de grosses commandes, elle obtenu la fabrication de composants et le montage de quatre A320 à Tianjin), elle est en train d’acquérir des savoir-faire précieux. Par ailleurs, au sein de l’Europe, le renforcement de l’Allemagne constitue une menace directe. Hambourg joue un rôle de plus en plus grand dans le montage de l’A 320 : 59 % des appareils y sont désormais assemblés. De plus, la France a perdu à son profit la position dominante qu’elle avait en R&D au début des années 2000. On comprend mieux cette évolution si on compare la vigueur et la continuité de l’effort de recherche allemand, doté d’un programme pluriannuel concerté entre industriels, scientifiques et pouvoirs publics et administré par le DLR, à la dispersion et au manque de lisibilité de la recherche française en aéronautique écartelée entre trois organismes (DGAC, DGA, ONERA) et dont la pérennité du financement n’est pas garantie.
L’industrie aéronautique tire son dynamisme de son insertion dans le district technologique de Toulouse qui est le produit de la politique de décentralisation qui a abouti au transfert dans les années 60 d’entreprises, d’écoles et de laboratoires dans la région toulousaine. L’industrie locale regroupe cinq types d’acteurs : des grands donneurs d’ordre nationaux ou internationaux, des sous-traitants situés dans l’orbite de ces groupes, des sociétés de services technologiques, des laboratoires publics de recherche et des institutions d’enseignement supérieur. Les échanges entre industrie et recherche sont particulièrement denses. Labellisé en 2005, le pôle de compétitivité Aerospace Valley forme le premier bassin d’emplois européen dans le domaine de l’aéronautique, de l’espace et des systèmes embarqués : en 2011, il regroupait 120 000 emplois, 1 600 établissements et 8 500 chercheurs.
Depuis sa cristallisation dans les années 70, ce système a subi de profondes transformations. Dans le cas d’Airbus, on peut distinguer deux étapes dans le processus de restructuration du réseau de sous-traitance. De 1987 (lancement du programme A330-340) jusqu’au milieu des années 1990, le groupe a rationalisé son activité en se recentrant sur son métier d’avionneur (conception, R&D, fabrication des pièces de structure jugées stratégiques, assemblage, commercialisation, assistance technique) et a hiérarchisé ses sous-traitants en fonction de leur niveau de maîtrise technologique, ce qui s’est accompagné d’une forte réduction de leur nombre (de 650 en 1987 à 200 en 1993). A partir du milieu des années 1990, afin de faire face à des dépenses de R&D en hausse, Airbus a poussé plus loin la sélection des fournisseurs directs (moins de 100 aujourd’hui) et les fait participer au financement de la R&D et assumer des responsabilités jusqu’à la phase de certification de l’appareil. Cette politique aboutit à une organisation du réseau de sous-traitance en quatre niveaux : les systémiers qui ont la responsabilité de la conception et de la réalisation d’un sous-ensemble technique, les équipementiers qui fournissent des modules techniques, des sous-traitants de spécialité qui maîtrisent des savoir-faire spécifiques, et des sous-traitants de production qui fournissent des produits et des services simples. Cette organisation permet à Airbus de transférer les risques sur ses sous-traitants, de faire des gains de productivité importants parce qu’ils sont plus performants, et de ne pas augmenter ses capacités de R&D et de production.
Cette stratégie de rationalisation et de réduction de coûts ne laisse d’autre choix aux soustraitants que de délocaliser une partie de leur production dans des pays proches à bas salaires (Maroc, Tunisie) où certains équipementiers (Zodiac, Safran) ont également installé un bureau d’études. Elle appauvrit le complexe aéronautique toulousain qui perd des capacités de production et de R&D et fragilise les sous-traitants et les expose à un risque de prise de contrôle par des groupes étrangers à la recherche de pépites.
Notes :
[279] Elie Cohen, Pierre-André Buigues, op. cit., p. 229-244 ; La construction aéronautique en France : une industrie performante à pérenniser, IESF/Les Cahiers, n° 18, novembre 2014 ; Malika Hattab-Christmann, « Mutations dans l’industrie aéronautique française et nouvelles localisations au Maroc », Géographie, économie, société, n° 3, 2009, p. 251-274 ; Med Kechichi, Damien Talbot, « Les mutations de l’industrie aéronautique française : concentration, externalisation et firme-pivot », Entreprises et Histoire, n° 73, 2013, p. 75-88 ; Guy Jalabert, Toulouse, métropole incomplète, Paris, Anthropos, 1995 ; Jean-Marc Zuliani, Michel Grossetti, « L’agglomération toulousaine, un système productif localisé de la recherche-développement ? », in Régis Guillaume, Fabienne Bogiatto (dir.), Les systèmes productifs locaux en Midi-Pyrénées. Rapport d’étape, Conseil régional de Midi-Pyrénées, 2001 ; Jean-Claude Daumas, « Territoire et dynamique industrielle : des configurations historiquement différenciées (France, XIXe-XXe siècle) », in Hubert Bonin, Jean-François Eck (eds), Les banques et les mutations des entreprises. Le cas de Lille-Roubaix-Tourcoing aux XIXe-XXe siècle, PU du Septentrion, Villeneuve d’Ascq, 2012.