2.7 Réindustrialiser ?

Depuis les années 1980, le modèle productif des Trente glorieuses a été remis en cause sans qu’un nouveau modèle cohérent de développement économique adapté aux disciplines européennes et aux enjeux de la mondialisation le remplace, ce qui s’est traduit par l’affaiblissement continu de la base industrielle du pays avec des conséquences catastrophiques pour l’emploi, l’innovation, la balance commerciale, les finances publiques et le niveau de vie.


Certes, depuis une dizaine d’années, la politique industrielle a retrouvé sa légitimité mais, faute de véritable vision stratégique, les pouvoirs publics ont affiché des objectifs changeants et multiplié les dispositifs qui s’empilent sans cohérence. En conséquence, l’intervention de l’Etat a été peu lisible, brouillonne et contradictoire. Comment dès lors s’étonner qu’elle ait été impuissante à enrayer le déclin industriel du pays? Il est pourtant plus nécessaire que jamais d’inverser le cours de l’évolution car tous les rapports récents soulignent la gravité de la situation : en 2012, le rapport Gallois proclamait clairement « la cote d’alerte est atteinte », et de son côté, en 2014, le rapport du Commissariat général à la stratégie et à la prospective sur l’état de la France soulignait avec force que « dans plusieurs domaines, nous sommes dangereusement proches du seuil critique en dessous duquel l’écosystème industriel est menacé dans son existence »[282]. Il est donc urgent d’élaborer une stratégie de réindustrialisassion ambitieuse, cohérente et mobilisatrice qui n’aurait pas pour objectif un (impossible) retour aux Trente glorieuses et ne se limiterait pas non plus à la politique industrielle, mais comprendrait un ample programme de réformes et de transformations[283]. Etant donné l’ampleur du recul, le défi de la réindustrialisation ne sera pas aisé à relever. Cependant, notre pays n’est pas dépourvu d’atouts[284], et les exemples de redressement industriel réussi de l’Allemagne et de la Suède nous rappellent que le déclin n’est pas une fatalité.

☖ Lejaby : le sauvetage impossible


Entreprise familiale fondée en 1930 dans l’Ain, Lejaby[1] est rachetée en 1996 par le groupe américain Armaco. Avec huit usines et un millier de salariés, c’est alors un des principaux fabricants français de lingerie. Délocalisations et fermetures de sites s’enchainent jusqu’à la revente en 2008 au groupe autrichien Palmers qui aboutit à la mise en liquidation judiciaire en 2012. Dans un contexte de promotion politique du Made in France, la directrice d’une agence de communication fortement implantée à Villeurbanne, révoltée par le gâchis que constitue la disparition des savoir-faire des corsetières et convaincue qu’une activité combinant Made in France, savoir-faire locaux et marché du luxe, peut être viable, crée en janvier 2013 sous forme de coopérative la société Les Atelières. Malgré le succès de deux levées de fonds, l’obtention de prêts bancaires et le soutien de BPI, l’entreprise est placée en liquidation judiciaire en janvier 2015.

L’appauvrissement de l’environnement technique et économique, aux niveaux régional et national, du fait de 40 années de fermetures et de délocalisations dans la branche corsetterie, fragilisait d’emblée le projet de relance. L’atelier situé à Villeurbanne et non à Yssingeaux où se trouvait le dernier site de production, n’a attiré qu’une poignée d’anciennes de Lejaby, ce qui a contraint à former un nouveau personnel. D’autre part, l’objectif de fabriquer français était difficile à tenir car les fournisseurs de matières textiles et de machines ont disparu depuis longtemps du territoire national. En somme, le projet de sauvetage reposait sur une illusion puisque les ressources dont il avait besoin pour prendre corps n’existaient plus, ce qui le vouait à l’échec.

✐ Source : [1] Anne Dalmasso, « Territoires et désindustrialisations : trajectoires d’entreprises et marginalisation territoriale », in Jean-Claude Daumas, Ivan Kharaba, Philippe Mioche (dir.), La désindustrialisation : une fatalité ?, Besançon, PUFC, 2017, p. 139-153.

L’appauvrissement de l’environnement technique et économique, aux niveaux régional et national, du fait de 40 années de fermetures et de délocalisations dans la branche corsetterie, fragilisait d’emblée le projet de relance. L’atelier situé à Villeurbanne et non à Yssingeaux où se trouvait le dernier site de production, n’a attiré qu’une poignée d’anciennes de Lejaby, ce qui a contraint à former un nouveau personnel. D’autre part, l’objectif de fabriquer français était difficile à tenir car les fournisseurs de matières textiles et de machines ont disparu depuis longtemps du territoire national. En somme, le projet de sauvetage reposait sur une illusion puisque les ressources dont il avait besoin pour prendre corps n’existaient plus, ce qui le vouait à l’échec.


Notes :

[282] Louis Gallois, op. cit., p. 7 ; Jean-Pisani-Ferry, Quelle France dans dix ans ?, Paris, Fayard, 2014, p. 129.

[283] Des éléments dans Philippe Aghion et alii, op. cit., et Elie Cohen, Pierre-André Buigues, op. cit., p. 343-423.

[284] Pierre Veltz, Thierry Weil (dir.), L’industrie, notre avenir, Paris, Eyrolles, 2015.