1.1.2 La Belle Epoque de l’industrie française

L’accélération de la croissance industrielle à partir du milieu des années 90 s’appuie davantage sur l’expansion de la demande urbaine que sur celle des campagnes.


La croissance du marché urbain s’explique par l’accroissement de la population des villes (sa part dans la population totale s’élève de 32,5 % en 1876 à 44,1 % en 1911), le poids de l’investissement dans l’immobilier et les réseaux (eau, égouts, électricité, gaz, métro), et l’augmentation du niveau de vie des habitants des villes qui diversifient leurs budgets et achètent de plus en plus de produits industriels (machines à coudre, bicyclettes, vêtements de confection, etc.). L’expansion prodigieuse des grands magasins, tant dans la capitale qu’en province, traduit bien cet accroissement de la demande chez les classes moyennes comme dans les classes populaires urbaines. C’est pendant cette période que se développent de nouveaux secteurs (aluminium, électrométallurgie, cycles, automobile, soie artificielle, cinéma, téléphone, etc.) qui mettent sur le marché des produits nouveaux emblématiques de la seconde industrialisation dont la diffusion de haut en bas de l’échelle sociale transforme les modes de vie. Cependant, en tardant à standardiser leurs produits et à les fabriquer en série, les industriels français sont à l’origine des limites de l’élargissement du marché intérieur, notamment dans l’industrie automobile restée prisonnière de sa spécialisation dans les grosses cylindrées coûteuses. Parallèlement, l’industrie française bénéficie d’une demande mondiale revigorée, si bien que les exportations industrielles progressent plus vite (+ 66 %) que la production industrielle (+ 52 %). De plus, on constate une transformation de la structure des exportations : les produits de consommation reculent (de 72,6 % en 1899 à 63,4% en 1913) au profit des produits de base (de 21,8 % à 23,8 %) et des biens d’équipement (de 5,1 % à 12,3 %). Dans ce secteur, l’automobile réalise une percée spectaculaire, la moitié de la production étant exportée en 1912. Néanmoins, l’évolution de la structure des exportations est limitée : en 1913, les produits industriels ne représentent que 60 % des ventes françaises à l’étranger contre 72 % pour l’Allemagne et 79 % pour la Grande-Bretagne, alors que les articles de Paris demeurent un point fort des exportations manufacturières.

L’investissement a augmenté plus rapidement que la production industrielle car, d’une part, pour survivre, les industriels ont dû moderniser leur outil de production, et de l’autre, ils ont innové et créé de nouveaux secteurs productifs liés à la seconde révolution industrielle. De 1896 à 1913, les investissements en matériels s’accroissent au rythme de 6% par an, et le nombre de chevaux vapeur installés en moyenne chaque année passe de 73 350 entre 1883 et 1903 à 141 800 de 1903 à 1913. C’est aussi pendant les années 1900 que les industriels font des efforts importants de standardisation et de rationalisation de la production, notamment dans les industries de biens d’équipement, et que le taylorisme commence à s’implanter dans l’industrie automobile, même si son adoption reste partielle. En somme, dans un contexte de faible augmentation de la population active (le taux annuel d’accroissement diminue de moitié entre le Second Empire et la guerre), la croissance industrielle repose essentiellement sur la progression de la productivité des travailleurs, de l’ordre de 2 % par an entre 1896 et 1913. La diffusion du machinisme a été principalement réalisée grâce aux importations ; du reste, dans certains secteurs, comme le textile, la dépendance de l’étranger est presque totale après l’annexion de l’Alsace. Enfin, le contexte est particulièrement favorable à la formation de nouvelles entreprises, notamment de grandes entreprises capables de mobiliser des capitaux importants : entre 1889 et 1913, il se forme 200 sociétés au capital supérieur à 10 millions de francs. Au total, cet élan crée les conditions d’une nouvelle hausse des profits qui atteignent de nouveaux sommets à la veille de la guerre : chez Chatillon-Commentry (sidérurgie), ils montent de 0,26 M en 1888 à 15,2 M en 1913, et de 0,86 M à 14,4 M aux Mines d’Aniche (charbon).

Pendant cette période, on constate une différenciation des rythmes de croissance selon les secteurs : les secteurs nouveaux ou les secteurs anciens redynamisés ont des taux de croissance compris entre 6 et 8 % entre 1904 et 1913, quand les secteurs traditionnels 85 (alimentation, textile, mines) ont des taux égaux ou inférieurs à 3 %. Cette différenciation a entraîné des changements sensibles dans la hiérarchie des branches industrielles, ce qui se traduit dans la répartition par branche de la population active : entre 1896 et 1913, l’industrie textile, secteur emblématique de la première révolution industrielle, recule (de 52,1 à 47,4 %) au profit de la métallurgie et des industries mécaniques (de 14,8 à 17,8 %), des industries extractives et de l’énergie (de 5,1 à 6 %) et de la chimie et du caoutchouc (de 1 à 1,7 %). Cependant, et même si la part des secteurs les plus capitalistiques tend à s’accroître, le poids des secteurs faiblement industrialisés demeure important, si bien que « l’industrie française a toujours une structure dualiste » (F. Caron).