1.3.3 Le téléphone : retard et dépendance

Le maintien d’un modèle individualiste de recherche n’a pas empêché la France de participer à l’émergence du nouveau système technique et cet effort de renouveau s’est prolongé après la guerre.


Cependant, dans certains secteurs, notamment l’aéronautique (cf. infra) et le téléphone[135], l’inadaptation des pratiques administratives aux exigences des nouvelles techniques a eu des conséquences durables. Invention américaine, le téléphone arrive en France en 1877. L’administration fait le choix de l’exploitation en concession et en 1879 autorise trois sociétés à construire et à exploiter des réseaux à Paris. Or, la coexistence dans une même ville de réseaux sans interconnexion est absurde et coûteuse, si bien que les trois sociétés ne tardent pas à fusionner pour former la Société générale des téléphones (SGT). Sa gestion soulève de nombreuses critiques : les tarifs sont trop élevés et la société, qui craint de perdre son monopole, n’investit guère. Finalement, en 1889, l’Etat rachète les actifs de la SGT et l’exploitation est confiée au ministère des Postes et Télégraphes. Le téléphone constitue alors un service coûteux, réservé aux grandes entreprises et aux riches particuliers, dont l’extension dépend de la construction de réseaux dans les villes et de lignes interurbaines. Incapable d’assurer les investissements nécessaires, l’administration recourt au système des avances remboursables qui permet à une collectivité locale de construire à ses frais un réseau sur son territoire et de se rembourser sur les recettes de l’exploitation. Cependant, ce système aboutit à la multiplication des petits réseaux et ne permet pas le financement des lignes interurbaines.

Après la guerre, le retard d’équipement s’aggrave d’une dépendance accentuée à l’égard des technologies américaines. En effet, la recherche ne peut s’épanouir faute d’un marché suffisamment large et dynamique, si bien que c’est ITT qui installe à Paris le premier central automatique et que la France sera équipée de matériel américain. C’est aussi ITT qui crée à Paris en 1927 un Laboratoire central de télécommunications qui emploie 700 personnes au début des années 30, alors qu’aucune entreprise française n’est capable de l’effort de recherche massif que nécessitent les évolutions de la technologie. Le plan d’équipement adopté en 1923 est progressivement vidé de son contenu en raison des difficultés financières et des coupes budgétaires. A la veille de la Seconde Guerre mondiale, le retard de la France s’est creusé : le taux d’équipement est plus faible que dans les autres pays et le coût de l’abonnement est si élevé que l’administration a du mal à trouver des clients ! C’est le résultat d’une situation où les choix politiques ont aggravé les conséquences de l’étroitesse du marché et du manque de surface des entreprises du secteur.


Notes :

[135] Catherine Bertho Lavenir, « Le téléphone », in Jacques Marseille, Puissances et faiblesses de la France industrielle,, Paris, éd. Le Seuil, 1997, p. 277-295.