1.1.3 La guerre de l’industrie

La première guerre mondiale transforme profondément la situation de l’industrie.


L’appel des hommes sous les drapeaux se traduit par la désertion des usines, et l’invasion du nord-est du territoire national s’accompagne de pertes de l’ordre des 3/4 pour la production de houille et des 4/5e pour la production de fonte. La mobilisation industrielle débute avec la conférence de Bordeaux (20 septembre 1914). Le premier objectif fixé à l’industrie est de décupler la production d’obus de 75 qui devra passer de 10 000 à 100 000 unités par jour. Cet objectif est atteint à l’été 1915 et la production triple en mai 1917. Devenu à partir de septembre 1916 ministre des armements, le socialiste Albert Thomas met en place une politique qui repose sur l’idée que pour obtenir une production de masse de qualité acceptable, l’on doit partir de l’existant ; ce laisse au patronat la possibilité de réaliser de gros profits. Chez Renault en 1914-15, le rapport bénéfice/chiffre d’affaires est de 30,9% puis il redescend à 15,7% en 1918, mais le capital immobilisé par la Société a été multiplié par 3,8. Les industries non directement liées à la production de guerre, en revanche, sont sacrifiées. Les secteurs mobilisés de la métallurgie connaissent une forte croissance tandis que la géographie industrielle évolue au profit des banlieues, notamment de la banlieue parisienne.

La mobilisation d’une main-d’oeuvre correspondant aux besoins de la Défense nationale impose à l’Etat de trouver des solutions inédites. La mécanisation et la taylorisation envers lesquelles les ouvriers spécialistes ont manifesté leur hostilité avant-guerre progressent. Le parc français de machines-outils estimé à 150 000 en 1913 s’accroît de 100 000 entre 1914 et 1918. De retour dans les usines, les ouvriers spécialistes sous les drapeaux restent mobilisés sur leur lieu de travail mais la mécanisation et la taylorisation permettent d’employer massivement une main-d’oeuvre sans qualification dont de nombreuses femmes – y compris dans la métallurgie où elles étaient quasiment absentes. Il faut encore faire appel à une main-d’oeuvre immigrée lointaine et coloniale. En novembre 1918, les industries d’armement emploient 1700 000 ouvriers dont 497 000 « militaires », 430 000 femmes, 425 000 ouvriers civils, 133 000 ouvriers de moins de 18 ans, 13 000 mutilés, 108 000 étrangers, 61 000 coloniaux et 40 000 prisonniers.

Tous ces efforts ne sont pas sans conséquences. L’effort financier se traduit par une inflation persistante tandis que l’organisation de la mobilisation pousse l’Etat à intervenir de façon massive non seulement dans la vie économique mais également dans les rapports sociaux qui se dégradent avec la durée du conflit. Malgré ces transformations, la guerre ne renverse pas les orientations antérieures mais c’est en s’appuyant sur l’expérience de la guerre industrielle que se produit un « tournant taylorien » qui porte ses fruits dans les années 1920[126].


Notes :

[126] Patrick Fridenson, « Un tournant taylorien de la société française (1904-1918) », Annales ESC, sept-oct. 1987, n°5, p. 1031-1060.