1.3.2 L’offre de nouveaux produits

Cependant, aux alentours de 1900 s’amorce le renouvellement de l’industrie manufacturière.


Dans les nouveaux secteurs industriels, l’offre créatrice est le fait d’hommes nouveaux étrangers au monde de la grande entreprise. Dans les cycles, l’automobile, l’aluminium, l’aviation, le cinéma, les produits d’hygiène et de beauté, le schéma est le même : ces nouveaux entrants sont à l’origine d’un pullulement de petites entreprises qui produisent et commercialisent les produits nouveaux qui répondent aux besoins émergents du consommateur final.

Construite en 1873 par Amédée Bollée, la première voiture française est munie d’un moteur à vapeur. Les constructeurs expérimentent également l’électricité et le gaz comme source d’énergie jusqu’à l’adoption, en 1890, du moteur à essence Daimler installé à la fois par Panhard et Levassor et par Peugeot. Le développement de l’industrie automobile s’appuie sur l’expérience acquise dans la construction et la vente de bicyclettes. Son succès s’explique par la rencontre de constructeurs innovateurs – des ingénieurs comme Emile Levassor ou Armand Peugeot et des bricoleurs de génie comme Louis Renault – dont certains (Clément, Darracq ou Richard) ont d’abord fabriqué des cycles, d’une main-d’oeuvre d’ouvriers très qualifiés, d’une myriade de fabricants d’accessoires, et d’une clientèle aisée qui accepte de payer un prix élevé et de supporter les risques inhérents à tout produit nouveau. Une presse spécialisée très dynamique, des compétitions qui drainent les foules, des salons qui sont des événements à la fois mondains et populaires, et l’action de l’Automobile club contribuent à diffuser l’innovation parmi les élites, si bien que 350 autos circulent en France dès 1895. La conquête du marché est indissociable d’une amélioration permanente du produit grâce à l’adoption de solutions techniques novatrices comme la boîte de vitesses avec prise directe, le patin de frein, l’allumage par courant à haute tension et la conduite intérieure. C’est cette capacité d’innovation qui fait de la France le premier pays producteur d’automobiles en Europe et qui explique ses succès à l’exportation.

Diplômé de l’Institut de chimie appliquée de Paris, Eugène Schueller invente dans sa cuisine transformée en laboratoire une nouvelle teinture pour cheveux dont il dépose le brevet en 1908. C’est le point de départ de la société L’Oréal[133]. qu’il fonde en 1909 : Schueller démarche les coiffeurs dans la journée pour vendre sa teinture et la fabrique le soir ! L’Oréal se développe rapidement en lançant de nouveaux produits : la teinture Imédia en 1929, les savons Monsavon en 1930, le shampooing Dop conditionné en berlingots en 1934 et la crème de bronzage Ambre solaire en 1935. Sa réussite résulte de sa capacité à répondre aux aspirations nouvelles (beauté, hygiène, soin du corps, loisirs) d’une société en train d’adopter de nouveaux modes de vie, d’un effort de recherche qui repose sur un laboratoire en charge de la définition de nouveaux produits, et d’une politique publicitaire novatrice qui utilise l’affiche et la radio. La croissance de L’Oréal est spectaculaire : en 1939, avec 3 M de francs de bénéfices, c’est une des entreprises françaises les plus prospères.

L’innovation ne reste pas limitée à la fabrication de produits destinés au consommateur final ; l’aluminium[134]. et l’air liquide en sont de belles illustrations. C’est dans son petit laboratoire installé dans la tannerie familiale que Héroult, renvoyé de l’Ecole des Mines mais en contact étroit avec le milieu scientifique, découvre en 1886 le procédé électrolytique de fabrication de l’aluminium. Désireux de l’industrialiser, il crée en 1888 la Société électrométallurgique française (SEMF) qui installe une petite usine à Froges (Isère). La baisse spectaculaire des prix et l’augmentation des quantités produites conduisent la SEMF à intégrer la fabrication des produits finis (ustensiles de cuisine, bibelots, câbles électriques, tôles pour la marine) et à les commercialiser. Le procédé Héroult étant tombé dans le domaine public en 1908, cinq sociétés françaises fabriquent de l’aluminium électrolytique. En 1914, la France domine la technologie de l’aluminium.


Notes :

[133] Jacques Marseille, L’Oréal 1909-2009, Paris, Perrin, 2009.

[134] Ivan Grinberg, Florence Hachez-Leroy (dir.), Industrialisation et sociétés en Europe occidentale de la fin du XIXe siècle à nos jours. L’Age de l’aluminium, Paris, Colin, 1997 ; Muriel Le Roux, Un siècle de recherche industrielle à Péchiney, Paris, Editions Rive Droite, 1998.