1.2.1 Avant 1914 : entre étroitesse du marché national et intégration limitée au marché mondial

Avant 1914, les industriels se plaignent du manque d’ampleur du marché national.


Cette situation s’explique par la faiblesse de la croissance démographique, la prépondérance des campagnes dans la population (en 1891, 62 % des Français vivent à la campagne et 45 % de l’agriculture), les limites du processus de salarisation (53,4 % de la population active en 1881, 57,7 % en 1911), de très fortes inégalités de revenus, le poids de l’autoconsommation, et des normes de consommation très différentes d’un groupe social à l’autre. Cependant, l’enrichissement des campagnes après la dépression, l’imitation de la vie bourgeoise par les classes moyennes en expansion et la hausse du pouvoir d’achat des ouvriers permettent un élargissement de la consommation qui absorbe de plus en plus de produits industriels, mais la tendance à l’homogénéisation de ses structures est encore très limitée, ce qui détermine la dispersion des structures productives.

L’investissement[130]baisse fortement dans les années 90, puis redémarre dans les années 1900 et s’accélère à la veille de la guerre : au total, parti de 186 dans les années 90, l’indice (calculé sur une base 100 dans la décennie 1840) monte à 366 en 1910-1913. Mais les composantes de cette dynamique globale ont des évolutions distinctes. Après la poussée de commandes liées au plan Freycinet, l’investissement ferroviaire diminue sensiblement jusqu’au milieu des années 90 pour remonter ensuite et connaître un renouveau spectaculaire à la veille de la guerre. L’investissement dans la construction culmine dans les années 90 et régresse ensuite sous l’effet du ralentissement de la croissance urbaine. Au contraire, l’investissement industriel qui a reculé après 1883 se redresse dans la décennie suivante et, après avoir stagné dans les années 1901-1905, connait à la veille de la guerre un essor fulgurant qui annonce celui des années 20.

Sur le marché international, la France recule à partir des années 70 car elle s’adapte insuffisamment aux nouvelles conditions des échanges. On doit cependant distinguer deux périodes : les exportations progressent faiblement de 1875 à 1895 (0,86 % par an), puis à un rythme beaucoup plus soutenu jusqu’en 1913 (2,74 %). Globalement, la part des produits manufacturés dans les exportations globales a reculé (56 % en 1860, 51 % en 1913), mais il faut distinguer trois types de produits : les produits traditionnels, textiles et articles de Paris notamment, qui souffrent à la fois du protectionnisme aux Etats-Unis et en Allemagne et de la vigueur de la concurrence allemande ; les produits industriels liés aux industries nouvelles (produits chimiques, automobiles) dont les exportations augmentent beaucoup ; et enfin, les articles qui, comme les cotonnades, ne peuvent se maintenir que grâce aux ventes sur le marché colonial. Les faiblesses de l’industrie française à l’exportation sont patentes : les produits traditionnels dominent largement (on vend plus de bougies que de locomotives et de chapeaux de paille que de machines) et la prépondérance de l’Europe se renforce (69,8 % en 1910) alors que les ventes en Asie et en Amérique latine progressent peu.


Notes :

[130] Maurice Lévy-Leboyer, François Bourguignon, op. cit., p. 271-293 ; François Caron, op. cit., p. 60-74.