1.3.1 Les limites du modèle français de R&D

Le modèle français de R&D est mal adapté aux nouvelles technologies de la seconde industrialisation qui émergent après 1880.


Ce modèle présente une double particularité : d’une part, étroitement subordonné aux besoins des ateliers, il s’appuie sur les ingénieurs de production et sur de petits laboratoires essentiellement destinés aux essais ; et de l’autre, l’effort de recherche repose sur le dialogue avec le monde savant et des bureaux d’études extérieurs. Le cas de l’industrie de l’aluminium illustre bien ce choix. Les usines de la Société électrométallurgique française (SEMF), fondée par Héroult en 1888, sont toutes dotées d’un laboratoire dont la mission est de contrôler les matériaux utilisés pour la fabrication de l’aluminium et la qualité du métal, de surveiller les cuves, et de temps en temps d’améliorer les procédés et les produits, mais la société dont l’équilibre financier est précaire n’a pas les moyens de financer un vrai centre de recherche et de faire de la recherche fondamentale ; du reste, aux yeux de ses dirigeants, son avance technologique l’en dispense.

Ce modèle est à l’opposé de la voie suivie par les firmes américaines et allemandes qui ont internalisé la recherche en créant des laboratoires de grande taille dotés de moyens importants. Il a une part de responsabilité importante dans les défaillances des entreprises françaises qui, dans un contexte d’intensification de la concurrence dans le domaine technologique, n’ont pas su saisir les opportunités offertes par le courant alternatif ou la chimie organique. De même, pour s’être désintéressée de la recherche en chimie du caoutchouc, Michelin a perdu son avance technique dès 1905, se condamnant au suivisme par rapport aux firmes américaines. Dans le modèle français tel que l’analyse François Caron à partir de la fabrication des glaces chez St Gobain (entre 1870 et 1913, la glacerie est passée d’une production manuelle à une production mécanisée en continu), l’innovation obéit à « une logique des apprentissages » et est « l’aboutissement d’un processus cumulatif » qui repose sur la capacité des ingénieurs à surimposer les connaissances scientifiques sur les savoir-faire ouvriers. Très fortement marqué par les pratiques héritées de la première révolution industrielle, le modèle français est « moins bien préparé à négocier les innovations de rupture » que ses rivaux.